mardi 18 février 2025

Andreas Hartmann, Arata Mori, Jōhatsu (Evaporés), 2024

80 000 personnes s’évanouissent au Japon chaque année. La plupart réapparaissent, mais certains disparaissent pour de bon. Ce documentaire dresse le portrait de quelques-uns de ces évaporés et de leur passeuse — ceux qui ont accepté de témoigner après avoir disparu et refait leur vie ailleurs, afin d’échapper à leur femme, leur patron, la mafia, des dettes, etc.

Le film survole le phénomène — peut-être limité par la nécessaire confidentialité de ses témoignages. Aucun point technique, quelques belles images du Japon.

lundi 17 février 2025

Toshiharu Ikeda, La légende de la sirène, 1984

Un couple de pêcheurs d’ormeaux est attaqué par des yakuza, l’homme est tué. Accusée du meurtre, la femme trouve refuge sur une petite île, dans un bordel. Et elle va se venger.

Le film est singulier dans sa construction : il emprunte à la chronique insulaire, à la fable, au film aquatique, au pinku eiga, au grotesque et au film d’horreur sanglant. C’est à la fois un récit de vengeance maritale et celui d’une sauvage naïade contre le capitalisme.

Film de genre(s) extrêmement bien réalisé, aux images magnifiques.

Hou Hsiao Hsien, Mambo, 2001

Vicky veut quitter Hao-Hao, mais Hao-Hao la retrouve toujours. Les néons et les lumières artificielles, la fumée des cigarettes et la beauté de son actrice, Shu Qi, constituent les principaux motifs de ce film presque sans récit.

Mambo est un film sur la grammaire du cinéma et son pouvoir — qui donne envie de partir à Hokkaido, comme son héroïne, y traîner dans les rues enneigées, devant les cinémas, afin de poursuivre la séance devant d’autres films encore.

dimanche 16 février 2025

Brady Corbet, The Brutalist, 2025

Fresque sur la réhabilitation d’un architecte hongrois, émigré après la guerre aux États-Unis. Le film est ample et ambitieux, mais on peut lui trouver une emphase thématique (judaïsme, religion, architecture, Shoah, immigration, drogue, humiliation sociale, handicap, etc.), musicale (ces cuivres pompeux que semble vouloir dédouaner par anticipation la dédicace à Scott Walker) et une application scénaristique scolaire (morphologie du récit de réhabilitation) — depuis son « ouverture », en passant par son basculement souterrain, jusqu’à son épilogue raté. Une scène est très belle : la carrière de marbre.

Le film est dédié à Scott Walker, avec lequel Brady à collaboré, ce qui est une manière d'alignement à une esthétique (baroque, ample, industrielle) mais qui ne suffit pas pour autant à le mettre sur un pied d’égalité avec lui. Le film est qualifié de chef d’œuvre dans plusieurs journaux. Il ressemble dans sa structure, certains de ses plans et sa révélation finale à There will be blood, lui aussi volontiers qualifié régulièrement de chef d’œuvre. À supposer que le film de Paul Thomas Anderson en soit un, le seul décalque suffirait à disqualifier The Brutalist. Il y a là une une confusion entre l’ampleur, l’application d’un certain équilibre structurel et la réussite technique (la mise en scène de Brady est réussie mais n’est pas virtuose). la réutilisation de procédés. Un chef d’œuvre n’est peut être pas l’application de procédés déjà expérimentés ailleurs, il doit proposer une forme de novation. I

samedi 15 février 2025

Halina Reijn, Baby Girl, 2024

Annoncé comme un thriller érotique, Baby Girl n’est vraiment ni l’un ni l’autre. Si l’on s’abstient d’y chercher un propos clair, c'est un film, sur le désir (et l’importance de la famille) ponctuée de belles scènes et d'autres ridicules.

Une femme haut placée (dans le milieu de la robotique) n’a pas de plaisir avec son mari. Elle s’émeut d’un jeune stagiaire qu’elle a vu maîtriser un chien. Débute une relation SM qui empiète peu à peu sur sa vie de famille et risque de compromettre sa place dans l’entreprise. À la fin : tout rentre dans l’ordre (le mari réussit à la faire jouir).

Annoncé comme un thriller érotique, Baby Girl n’est vraiment ni l’un ni l’autre. Si l’on s’abstient d’y chercher un propos clair, c’est un film sur le désir (et l’importance de la famille), ponctué de belles scènes et d’autres ridicules.

vendredi 14 février 2025

Les Tuche 5, 2025

Les Tuche en Grande-Bretagne, le film est une suite de sketchs constamment nuls, empruntant parfois à un humour exogène qui ne fonctionne jamais. On peut trouver la proposition modeste ou fainéante.

Les Tuche en Grande-Bretagne : le film est une suite de sketchs constamment nuls, empruntant parfois à un humour exogène qui ne fonctionne jamais. On peut trouver la proposition modeste ou fainéante.

jeudi 13 février 2025

Carl Dreyer, La passion de Jeanne d’Arc, 1928

À partir des minutes du procès de Jeanne d’Arc. Le début, avec ses gros plans de visages, convoque des moments de l’histoire de la peinture — de Bruegel aux dessins de procès de sorcellerie de Victor Hugo. Avec un usage du décor théâtral, quasiment abstrait, et quelques plans pour l’ancrer dans un environnement réaliste.

Le film fait un usage presque systématique de la contre-plongée, comme pour restituer aux spectateurs la vision (yeux ostensiblement levés vers le ciel) de Jeanne d’Arc. La fin, dans sa construction de plans alternés — oiseaux, château, foule, feu — est de toute beauté.

Chris Marker l’a qualifié de plus beau film du monde. Muet et silencieux.

David Lynch, Eraserhead, 1977

Dans une ville industrielle d’une noirceur et d’une désolation absolues, un couple a un nourrisson à la tête de lapin écorché et dont le corps ovale est maintenu par des langes. Cauchemar sur la parentalité, cauchemar tout court, le premier long métrage de Lynch porte déjà des traits de son cinéma à venir : les plans qui se rapprochent des murs et sont absorbés par eux, et la présence constante, texturale, du son — entre le vrombissement des systèmes anthropiques et la musique.

Vingt ans plus tard, dans Une histoire vraie, Lynch reviendra sur le thème de la famille — avec un film, cette fois, en couleurs et lumineux.

dimanche 9 février 2025

Jacques Audiard, Emilia Perez, 2024

Il y a une certaine virtuosité technique dans les premières chorégraphies chantées du film, mais l’ensemble — le récit d’un double parcours (de l’homme vers la femme, et du mal vers la rédemption), l’amour filial plus fort que tout, la photographie qui atténue tout contraste à la manière de la dilution générique du récit — m’évoque plus une bouillie grise qu’un objet trans.

David Lynch, Lost Highway, 1997

Le film est construit en deux parties et en boucle. Dans la première, un couple reçoit des cassettes vidéo filmées aux abords de leur maison, puis dans la maison elle-même. À la tension de l’intrusion s’ajoute le soupçon de l’homme sur l’emploi du temps de sa femme. Puis elle est retrouvée morte, le mari est accusé du meurtre et emprisonné.

Le pivot du film est la substitution inexplicable, en prison, d’un jeune garagiste à sa place.

Dans la deuxième partie, le jeune garagiste, libéré, rencontre une femme, maîtresse d’un truand psychopathe, et double de la première.

Deux histoires de jalousie autour d’une même femme, dans deux milieux : sophistiqué et arty, prolo et truand. Lynch utilise les effets du film d’horreur sans image d’horreur, un fond sonore — entre musique et environnement amplifié — et différentes natures d’images hétérogènes pour raconter deux histoires qui se répondent.

Sommet du cinéma de Lynch avec Twin Peaks (la série) et Mulholland Drive.

Naoko Ogigami, Le jardin zen, 2023

Une femme, à Tokyo, traverse une phase difficile. Le film commence au moment de la catastrophe de Fukushima, alors que son mari quitte le foyer conjugal. Contamination de l’eau et abandon du domicile dessinent les deux fils du récit. La femme se réfugie dans une secte d’adorateurs de l’eau verte et substitue au jardin de plantes dont s’occupait son mari un karesansui (jardin de pierres). Six mois plus tard, le mari, atteint d’un cancer, revient à la maison.

Le film est une comédie, pince-sans-rire, qui traite de la ménopause, de la place des femmes et de la société patriarcale japonaise. Cette « femme au bord de la crise de nerfs » nippone va maintenir le cap, malgré les injonctions sociales et la tentation de se laisser aller au pire, et traverser, glorieuse l’épreuve et dansante,.

C’est un film remarquable par son ton, son humour, sa justesse et la finesse de ses analyses.

Kon Ichikawa, Le pavillon d’or, 1958

Pourquoi le jeune novice Mizoguchi a-t-il incendié le pavillon d’or ? Handicap, humiliation, trahison, honte, fantasme de la pureté, désir de sacralisation, icônes déstatufiées. Un film très riche, d’une grande beauté plastique et sonore, et un des grands films de Kon Ichikawa.

samedi 8 février 2025

David Lynch, Sailor et Lulla, 1990

Sailor et Lulla est une histoire d’amour fou et un road-movie, plein de sexe et de cigarettes, de chambres d’hôtel et de personnages étranges. Le film peut-être le plus simple de Lynch, le plus explicitement godardien première période.

Sailor et Lula est une histoire d’amour fou et un road-movie, plein de sexe et de cigarettes, de chambres d’hôtel et de personnages étranges. Le film peut-êtrele plus simple de Lynch, le plus explicitement godardien, première période.

David Lynch, Inland Empire, 2006

Très proche de Lost Highway et de Mulholland Drive dont il constitue une version dont on aurait poussé le curseur de la déconstruction un peu plus loin. Chant du cygne cinématographique logique et imparablement logique de Lynch.

Le tournage d’un film, une malédiction d’acteurs tués, une sitcom avec des lapins anthropomorphes et des rires enregistrés qui soulignent des blagues sans blague. Inland Empire est le long métrage le plus labyrinthique de Lynch, un film désaxé, soutenu par quelques trames narratives. Hermétique, ponctué de fulgurances poétiques, presque abstrait.

Très proche de Lost Highway et de Mulholland Drive, dont il semble pousser encore plus loin le curseur de la déconstruction. Chant du cygne cinématographique imparablement logique, de Lynch.

Tim Fehlbaum, 5 septembre, 2025

JO de 1972, Munich, depuis les studios d’ABC : la prise d’otage des athlètes israéliens. Un huis clos utilisant les images d’archives de cette première attaque terroriste diffusée en direct sur les écrans du monde, filmé comme un épisode de « 24 heures chrono ».

Akira Kurosawa, 生きる (Vivre), 1952

Un homme terne — ses collègues l’appellent "la momie" — apprend qu’il a un cancer et décide de vivre, d’apprendre à vivre. Le film est construit en trois parties : la première, brève et bureaucratique (presque kafkaïenne), où il apprend sa maladie ; la deuxième, est traversée de la ville, érotique et l'énergie de la nuit ; et la troisième est une longue beuverie qui succède à sa mort, une veillée funèbre entremêlée de flash-backs, et une tentative de réhabilitation de son action ou d’appropriation.

Vivre est une fable d’une grande beauté plastique, qui a marqué Rod Serling dans l’écriture de certains épisodes de La Quatrième Dimension. La deuxième partie est la plus belle ; la troisième, bien que ponctuée de moments sublimes, est un peu distendue — mais c’est souvent le cas chez Kurosawa.

mercredi 5 février 2025

Denis Villeneuve, Dune 2, 2024

Il y a une exigence esthétique assez rare pour un film de science-fiction de type soap-opéra. Les séquences de chevauchement des vers dans le désert sont très belles. Je suis moins sensible aux scènes de péplum ultra-design.

Le récit ne s’embarrasse pas d’articulations — mais c’était déjà le cas dans le film de Lynch, peut-être est-ce lié au matériau d’origine.

Un objet très élégant, qui maintient toutefois le spectateur à distance.

Noémie Merlant, Les femmes au balcon, 2024

Les Femmes au balcon commence comme une comédie sororale à la Almodóvar, puis s’aventure vers le drame conjugal, la farce macabre, le film de fantômes, etc.

Le film déroule un véritable catalogue de la masculinité toxique (viol, violence conjugale, consultation gynécologique) et de ses remèdes : sororité, castration, éradication des hommes. Il se termine par une séquence où les femmes, seins nus, marchent dans la rue — enfin libres dans un monde sans hommes — comme une représentation d'un certain esprit militant des années 70.

Quelques tentatives formelles sont perceptibles, notamment dans le traitement de l’image, avec des filtres et des effets. Les scènes de désexualisation du corps féminin sont assez réussies. Mais le mélange des genres, l’imprécision de la mise en scène, comme une trop grande confiance laissée au seul mouvement de ses trois interprètes, plombent le film.

Un film de genres trans féministe raté.

lundi 3 février 2025

Wallace & Gromit: Vengeance Most Fowl, 2024

Wallace fabrique un gnome robot, capable de supplanter n’importe quel assistant avec une efficacité et une célérité d’action inouïes. Mais un manchot — ennemi juré de Wallace et Gromit, emprisonné après le vol du diamant bleu — parvient à le pirater et à le reprogrammer pour une tâche diabolique. Une nouvelle excellente aventure, toujours cotonneuse, des héros en pâte à modeler — qui tombe à point pour les fêtes de Noël.

Mel Gibson, Vol à haut risque, 2025

Huis clos dans un avion, à trois personnages : un prisonnier, un flic, et un pilote usurpateur (Mark Wahlberg). C’est une farce qui s’en sort plutôt bien dans le genre très contraint du film à espace restreint, où il s’agit souvent de combler le temps par une série de petites actions improbables. Le film est regardable mais qu’est-ce que Mel Gibson est venu faire dans un projet aussi dénué d’ambition ?

Danny Boyle, 28 ans plus tard, 2025

Il y a une certaine tension au début du film, les images alternent de la plus réussie à la plus laide, comme les effets multicaméra, du ridi...