jeudi 13 février 2025

David Lynch, Eraserhead, 1977

Dans une ville industrielle d’une noirceur et d’une désolation absolues, un couple a un nourrisson à la tête de lapin écorché et dont le corps ovale est maintenu par des langes. Cauchemar sur la parentalité, cauchemar tout court, le premier long métrage de Lynch porte déjà des traits de son cinéma à venir : les plans qui se rapprochent des murs et sont absorbés par eux, et la présence constante, texturale, du son — entre le vrombissement des systèmes anthropiques et la musique.

Vingt ans plus tard, dans Une histoire vraie, Lynch reviendra sur le thème de la famille — avec un film, cette fois, en couleurs et lumineux.

dimanche 9 février 2025

Jacques Audiard, Emilia Perez, 2024

Il y a une certaine virtuosité technique dans les premières chorégraphies chantées du film, mais l’ensemble — le récit d’un double parcours (de l’homme vers la femme, et du mal vers la rédemption), l’amour filial plus fort que tout, la photographie qui atténue tout contraste à la manière de la dilution générique du récit — m’évoque plus une bouillie grise qu’un objet trans.

David Lynch, Lost Highway, 1997

Le film est construit en deux parties et en boucle. Dans la première, un couple reçoit des cassettes vidéo filmées aux abords de leur maison, puis dans la maison elle-même. À la tension de l’intrusion s’ajoute le soupçon de l’homme sur l’emploi du temps de sa femme. Puis elle est retrouvée morte, le mari est accusé du meurtre et emprisonné.

Le pivot du film est la substitution inexplicable, en prison, d’un jeune garagiste à sa place.

Dans la deuxième partie, le jeune garagiste, libéré, rencontre une femme, maîtresse d’un truand psychopathe, et double de la première.

Deux histoires de jalousie autour d’une même femme, dans deux milieux : sophistiqué et arty, prolo et truand. Lynch utilise les effets du film d’horreur sans image d’horreur, un fond sonore — entre musique et environnement amplifié — et différentes natures d’images hétérogènes pour raconter deux histoires qui se répondent.

Sommet du cinéma de Lynch avec Twin Peaks (la série) et Mulholland Drive.

Naoko Ogigami, Le jardin zen, 2023

Une femme, à Tokyo, traverse une phase difficile. Le film commence au moment de la catastrophe de Fukushima, alors que son mari quitte le foyer conjugal. Contamination de l’eau et abandon du domicile dessinent les deux fils du récit. La femme se réfugie dans une secte d’adorateurs de l’eau verte et substitue au jardin de plantes dont s’occupait son mari un karesansui (jardin de pierres). Six mois plus tard, le mari, atteint d’un cancer, revient à la maison.

Le film est une comédie, pince-sans-rire, qui traite de la ménopause, de la place des femmes et de la société patriarcale japonaise. Cette « femme au bord de la crise de nerfs » nippone va maintenir le cap, malgré les injonctions sociales et la tentation de se laisser aller au pire, et traverser, glorieuse l’épreuve et dansante,.

C’est un film remarquable par son ton, son humour, sa justesse et la finesse de ses analyses.

Kon Ichikawa, Le pavillon d’or, 1958

Pourquoi le jeune novice Mizoguchi a-t-il incendié le pavillon d’or ? Handicap, humiliation, trahison, honte, fantasme de la pureté, désir de sacralisation, icônes déstatufiées. Un film très riche, d’une grande beauté plastique et sonore, et un des grands films de Kon Ichikawa.

samedi 8 février 2025

David Lynch, Sailor et Lulla, 1990

Sailor et Lulla est une histoire d’amour fou et un road-movie, plein de sexe et de cigarettes, de chambres d’hôtel et de personnages étranges. Le film peut-être le plus simple de Lynch, le plus explicitement godardien première période.

Sailor et Lula est une histoire d’amour fou et un road-movie, plein de sexe et de cigarettes, de chambres d’hôtel et de personnages étranges. Le film peut-êtrele plus simple de Lynch, le plus explicitement godardien, première période.

David Lynch, Inland Empire, 2006

Très proche de Lost Highway et de Mulholland Drive dont il constitue une version dont on aurait poussé le curseur de la déconstruction un peu plus loin. Chant du cygne cinématographique logique et imparablement logique de Lynch.

Le tournage d’un film, une malédiction d’acteurs tués, une sitcom avec des lapins anthropomorphes et des rires enregistrés qui soulignent des blagues sans blague. Inland Empire est le long métrage le plus labyrinthique de Lynch, un film désaxé, soutenu par quelques trames narratives. Hermétique, ponctué de fulgurances poétiques, presque abstrait.

Très proche de Lost Highway et de Mulholland Drive, dont il semble pousser encore plus loin le curseur de la déconstruction. Chant du cygne cinématographique imparablement logique, de Lynch.

Tim Fehlbaum, 5 septembre, 2025

JO de 1972, Munich, depuis les studios d’ABC : la prise d’otage des athlètes israéliens. Un huis clos utilisant les images d’archives de cette première attaque terroriste diffusée en direct sur les écrans du monde, filmé comme un épisode de « 24 heures chrono ».

Akira Kurosawa, 生きる (Vivre), 1952

Un homme terne — ses collègues l’appellent "la momie" — apprend qu’il a un cancer et décide de vivre, d’apprendre à vivre. Le film est construit en trois parties : la première, brève et bureaucratique (presque kafkaïenne), où il apprend sa maladie ; la deuxième, est traversée de la ville, érotique et l'énergie de la nuit ; et la troisième est une longue beuverie qui succède à sa mort, une veillée funèbre entremêlée de flash-backs, et une tentative de réhabilitation de son action ou d’appropriation.

Vivre est une fable d’une grande beauté plastique, qui a marqué Rod Serling dans l’écriture de certains épisodes de La Quatrième Dimension. La deuxième partie est la plus belle ; la troisième, bien que ponctuée de moments sublimes, est un peu distendue — mais c’est souvent le cas chez Kurosawa.

mercredi 5 février 2025

Denis Villeneuve, Dune 2, 2024

Il y a une exigence esthétique assez rare pour un film de science-fiction de type soap-opéra. Les séquences de chevauchement des vers dans le désert sont très belles. Je suis moins sensible aux scènes de péplum ultra-design.

Le récit ne s’embarrasse pas d’articulations — mais c’était déjà le cas dans le film de Lynch, peut-être est-ce lié au matériau d’origine.

Un objet très élégant, qui maintient toutefois le spectateur à distance.

Noémie Merlant, Les femmes au balcon, 2024

Les Femmes au balcon commence comme une comédie sororale à la Almodóvar, puis s’aventure vers le drame conjugal, la farce macabre, le film de fantômes, etc.

Le film déroule un véritable catalogue de la masculinité toxique (viol, violence conjugale, consultation gynécologique) et de ses remèdes : sororité, castration, éradication des hommes. Il se termine par une séquence où les femmes, seins nus, marchent dans la rue — enfin libres dans un monde sans hommes — comme une représentation d'un certain esprit militant des années 70.

Quelques tentatives formelles sont perceptibles, notamment dans le traitement de l’image, avec des filtres et des effets. Les scènes de désexualisation du corps féminin sont assez réussies. Mais le mélange des genres, l’imprécision de la mise en scène, comme une trop grande confiance laissée au seul mouvement de ses trois interprètes, plombent le film.

Un film de genres trans féministe raté.

lundi 3 février 2025

Wallace & Gromit: Vengeance Most Fowl, 2024

Wallace fabrique un gnome robot, capable de supplanter n’importe quel assistant avec une efficacité et une célérité d’action inouïes. Mais un manchot — ennemi juré de Wallace et Gromit, emprisonné après le vol du diamant bleu — parvient à le pirater et à le reprogrammer pour une tâche diabolique. Une nouvelle excellente aventure, toujours cotonneuse, des héros en pâte à modeler — qui tombe à point pour les fêtes de Noël.

Mel Gibson, Vol à haut risque, 2025

Huis clos dans un avion, à trois personnages : un prisonnier, un flic, et un pilote usurpateur (Mark Wahlberg). C’est une farce qui s’en sort plutôt bien dans le genre très contraint du film à espace restreint, où il s’agit souvent de combler le temps par une série de petites actions improbables. Le film est regardable mais qu’est-ce que Mel Gibson est venu faire dans un projet aussi dénué d’ambition ?

David Lynch, Twin Peaks : Fire walks with me, 1992

Prologue à la série, Twin Peaks: Fire Walk With Me en révèle en même temps prosaïquement le mystère. C’est sa limite : là où la série nous entraînait vers des contrées étranges et mouvantes, le film ramène le fantastique labyrinthe des trois saisons à un drame sordide.

Reste pourtant quelques scènes d’une puissance inouïe : le début et la première enquête (le drame qui a précédé la mort de Laura Palmer), le message cryptique de Gordon, la démarche de Bobby imitée par d’autres dans la cour du lycée, et celle de l’ange — comme un écho à Sailor et Lula.

David Lynch, Une histoire vraie, 1999

 






Charles Schulz, Peanuts, août 1954. 

Un homme âgé, apprenant que son frère — avec qui il est fâché depuis dix ans — vient d’avoir une attaque, entreprend de parcourir les 500 km qui les séparent au volant d’un petit tracteur.

C’est un film de route à la vitesse de 7 km/h, ponctué d’incidents mécaniques et de quelques rencontres : une jeune fille enceinte qui veut fuir sa famille, des cyclistes, des pompiers, des quidams, un prêtre, etc.

À la fois contrepoids à Eraserhead et à sa représentation cauchemardesque de la famille, The Straight Story accorde une attention rare, chez Lynch, à des éléments souvent minorés dans ses autres films : un café, une bière, une cigarette, un feu, la beauté des champs, la pluie, le soleil, les paysages, l’Amérique des terres, la religion, la route qui défile.

Et tout cela entièrement défait du prisme de l’étrangeté, du fantastique, du mal, des distorsions temporelles ou picturales, et d’un fond sonore anthropique — à l’exception du vrombissement, paisible, d’un silo.

vendredi 31 janvier 2025

David Lynch, Blue Velvet, 1986

J’avais gardé en mémoire deux scènes de ce film : l’un des pétages de plomb de Dennis Hopper, dans une séquence d’une tension inouïe, et cette femme dansant longuement sur le toit d’une camionnette — il s’avère qu’il s’agit en réalité d’une voiture, et que la scène est extrêmement brève.

Je ne sais pas s’il faut interroger le fonctionnement de la mémoire ou la capacité du cinéma de Lynch à fabriquer des images qui se déforment.

Blue Velvet est un teen movie, marqué notamment par Hitchcock et ponctué de quelques bizarreries, qui deviendront la marque caractéristique de ses grands films. Blue Velvet vaut surtout, sans doute, pour ce qu’il annonce.

samedi 18 janvier 2025

Sean Baker, Tangerine, 2015

Le 24 décembre, une prostituée trans, tout juste sortie de 28 jours de prison, part à la recherche de son mec dans les rues de Los Angeles. Parallèlement, l’un de ses clients, chauffeur de taxi, la cherche, entre ses courses et repas de famille. Deux errances qui finissent par se croiser, dans un Los Angeles saturé de jaune.

Road-movie urbain un peu distendu, mais porté par une vraie énergie, un milieu singulier, une identité chromatique forte et quelques scènes remarquables — comme celle de l’Indien Cherokee dans le taxi.

Frank Dubosc, Un ours dans le Jura, 2025

Ce film repose sur un MacGuffin alléchant, mais qui, une fois l’amorce passée, ne semble plus vraiment intéresser Frank Ducosq : il y revient sporadiquement, comme à un fil conducteur un peu artificiel. Le véritable sujet du film, ce sont les relations distendues entre les personnages (couple, famille, paroissiens…), que ce MacGuffin va permettre de réactiver ou de consolider. L’ours ne sert qu’à fabriquer une intrigue sur les liens sociaux.

Le film a ceci de paradoxal : il fait tourner en sous-régime ses trois interprètes — Calamy, Dubosc, Poelvoorde — tout en s’éparpillant dans une multitude de sous-intrigues, dont aucune ne trouve vraiment d’issue ou d’aboutissement.

Un ours dans le Jura, que sa bande-annonce vendait comme un film de genre enneigé, cruel, à la Fargo, où des quidams se retrouvent piégés dans une situation trop grande pour eux ne tient pas sa promesse.

jeudi 16 janvier 2025

dimanche 12 janvier 2025

Christian Gudegast, Den of Thieves 2: Pantera, 2025

Excellent film de braquage — avec Gerard Butler. Le film n’est pas inventif, mais il est d’une efficacité remarquable : mise en scène, montage, musique, lumière, direction d’acteurs. Les scènes de braquage, les courses-poursuites et les fusillades ne laissent aucun répit et maintiennent le film sous tension. L’ambiance générale, le ton du film — tout est réussi.

Danny Boyle, 28 ans plus tard, 2025

 En dépit d’un certain mauvais goût et d’effet milf caméra dispensable il y a une certaine tension au début et une certaine efficacité le sc...